Le futur mastodonte en cœur de ville a toujours du mal à trouver ses marques : les délais et l’addition pourraient s’allonger. Côté travaux, les riverains commencent à toucher du doigt le début des nuisances. Côté juridique, avec moins de lits demain qu’actuellement à Bichat et Beaujon (les deux hôpitaux qui vont disparaître), « l’utilité publique », elle-même, est contestée pour ce méga hôpital avec une inattendue et significative demande d’annulation par le Rapporteur public[1].
Face aux riverains, les « technos » de l’AP-HP ont été un peu à la peine pour rassurer les riverains. Le Parisien de ce mercredi 21 juin titrait ainsi « Face au chantier du CHU, les voisins toujours plus inquiets ». L’article, d’un journaliste habituellement très « bienveillant »[2] évoquait « Pollution, vibration, nuisances sonores », et une ouverture « espérée » en 2028[3] en rappelant « qu’à peine lancé, le chantier avait été interrompu trois semaines fin décembre après une chute de matériaux (sur le domaine public).
Alors que « le début de la démolition des façades de l’usine PSA devait démarrer cette semaine… ce sera finalement le 5 juillet sur la rue Farcot et le 24 juillet sur l’avenue du Capitaine pour attendre l’expertise [4]. « Des meubles qui tremblent, objets et tableaux qui tombent à cause des vibrations », une expertise tardive et donc des riverains partagés entre inquiétude et agacement.
Sur cette vaste emprise l’AP-HP a assuré maîtriser parfaitement la situation concernant la dépollution des sols, le désamiantage, les mesures sur la poussière avec parfois des « blancs ou des « cafouillages » face à des questions précises de certains riverains.
« Le Conseiller (DVG) d’opposition Denis Vemclefs, a lui, ironisé » : « J’ai suivi toutes les réunions sur ce projet et on nous dit qu’il n’y a jamais aucun problème, a-t-il expliqué. 80 camions par jour transporteront les terres jusqu’à la Seine mais ça n’influencera pas le trafic. Quand l’hôpital ouvrira, il y aura 120 000 passages aux urgences par an mais pas de problème non plus ; il y aura un héliport, mais il ne fera pas de bruit ; 300 lits en moins et on sera mieux soigné… c’est assez formidable, je vous remercie ! ». Un bon résumé.
Concernant les lits d’hôpitaux[5], autres « mauvais coucheurs » le syndicat Sud Santé, des soignants et riverains des collectifs Interhôpitaux et Interurgences concernant la réduction du nombre de lits avec une bataille de chiffres avec l’AP-HP qui tente toujours d’expliquer l’inexplicable avec un imbroglio de chiffres.
Du coup, et là ça se gâte, un recours a été déposé contre la Déclaration d’Utilité Publique (DUP) signée par le Préfet le… 14 mars 2022. Les plaignants estiment que le projet est en réalité sous dimensionné par rapport aux besoins des 2 millions d’habitants du Nord Est de l’île de France.
Le juge du tribunal Administratif a semblé un peu agacé par l’attitude de l’AP-HP et sa philosophie : « moins de lits, mieux soigné », « modernité », « plus vert que vert »…
Pour sa part le rapporteur public a exprimé son avis en deux lignes demandant « l’annulation totale, pour défaut d’utilité publique compte tenu notamment de l’insuffisance d’offre de soins par rapport à l’existant et aux besoins ». En prime, il a souligné aussi un vice de procédure dès lors que « le rapport de contre-expertise relatif au volet hospitalier ne figurait pas au dossier de l’étude d’impact »[6].
Le collectif local “Pas ça, pas là, pas comme ça” ! en dénonçant depuis le début ce projet avec la suppression de 300 lits, la diminution de l’accueil d’urgence, la disparition de la moitié de la maternité, la dégradation des conditions de travail des soignants, une insertion urbaine inadaptée, une hausse du trafic routier en cœur de ville…n’avait donc pas vraiment tort ![7]
Dans ce contexte, jugement attendu ce 10 juillet 2023.
Pour un projet dépassant désormais largement le milliard d’euros, on peut penser que l’Etat pèsera, d’une manière ou d’une autre, pour éviter un « crash » de l’AP-HP. Toutefois le Tribunal reste souverain et l’avis du rapporteur public serait en général suivi dans 70% des cas ! De quoi quand même donner un peu les chocottes à certains.
Évidemment, la solution la plus raisonnable, vu l’avis du rapporteur public[8], serait de donner suite aux propositions de l’avocat des collectifs citoyens et hospitaliers. C’est-à-dire revoir à la hausse le « capacitaire » et donc revenir sur la suppression des 300 lits en permettant un cessez-le-feu sur le plan juridique. Jusqu’ici l’AP-HP semble toujours adepte du rouleau compresseur.
Coup de théâtre ou pas pour cet hôpital fort décrié, quelques certitudes : le chantier et sa desserte seront difficiles pendant plusieurs années pour le fonctionnement du cœur de ville, les délais vont s’allonger et l’ardoise s’alourdir.
A suivre donc avec attention et vigilance.
Eric PEREIRA SILVA
[1] Le rapporteur public est un membre de la juridiction administrative ayant pour mission d’exposer publiquement, et en toute indépendance, son opinion sur les questions que présentent à juger les requêtes et sur les solutions qu’elles appellent.
[2] Anthony Lieures plutôt spécialisé dans l’actualité heureuse en phase avec la communication municipale. Il a précisé tout de même : « excusé lors de la réunion mais joint par téléphone ce mardi, le maire (PS), Karim Bouamrane, assure, lui, que la ville « fait tout en direction des maîtres d’ouvrages pour que les nuisances soient minimisées à l’extrême pour les habitants ». Ouf ! https://www.kiosque.leparisien.fr/data/63127/reader/reader.html?t=1687967864199#!preferred/0/package/63127/pub/78077/page/34/alb/619026
[3] « Une ouverture « espérée en 2028 » mais l’article de la journaliste Carole Sterlé à la page suivante dans le Parisien du même jour indique que « l’établissement doit ouvrir en 2029 »
https://www.kiosque.leparisien.fr/data/63127/reader/reader.html?t=1687967864199#!preferred/0/package/63127/pub/78077/page/35/alb/619023
[4] Décalage pour permettre le passage de l’expert afin d’établir le « référé préventif » (constat de l’état des lieux initial avant travaux). Un passage que trouvent bien tardif les riverains.
[5] Quand on parle de « lit » c’est bien entendu le mobilier mais surtout ceux qui sont autour du patient alité : médecin, infirmier, aide-soignant…
[6] Parmi les joyeusetés de ce dossier : l’enquête publique sur le programme d’intérêt général (PIG) le 11 mai 2019. Seul le registre d’enquête était posé devant les deux hôtesses d’accueil du Centre administratif. Il aura fallu l’interpellation d’un citoyen à 11h45 pour que l’une d’entre-elle se rappelle que le dossier enquête contenant toutes les informations, pièce maîtresse, avait été oublié dans un tiroir. Des conditions d’enquête inhabituelles en termes de lieu et de personnels. Saisi, le Préfet se contentera d’un simple courrier de circonstance du Directeur Général des Services. On se souviendra également dans ce dossier que les deux enquêteurs de la Commission Nationale du Débat Public ont démissionné faute de concertation et d’écoute des habitants.
[7] Ce collectif contestant ce projet défendait par ailleurs la rénovation de Bichat (Paris 18ème), de Beaujon (Clichy) et la construction d’un nouvel hôpital (500 lits) en Seine-Saint-Denis,
[8] « Selon un familier du droit administratif »
“Le Conseiller (DVG) d’opposition Denis Vemclefs”
“d’opposition” ? Au grand hôpital d’accord mais ça s’arrête là.
Il faut rappeler que la municipalité est absolument d’accord avec ce projet. Incriminé seulement l’AP-HP c’est oublier que la municipalité porte une lourde responsabilité dans la réalisation de ce projet absurde.
Sans oublier la municipalité précédente !
Oui mais pas au même endroit sauf erreur
Les besoins en soins hospitaliers des habitants de la banlieue Nord sont grands.
Le centre hospitalier universitaire du Grand Paris Nord est d’utilité publique.
Que les besoins en soins hospitaliers soient grand n’est pas une raison pour faire n’importe quoi.
Quant à l’utilité publique ce n’est pas une raison non plus pour faire n’importe quoi et nous saurons si ce projet est vraiment d’utilité publique puisque ce n’est pas l’avis du rapporteur du ministère : https://actu.fr/ile-de-france/saint-ouen-sur-seine_93070/grand-hopital-de-saint-ouen-vers-une-annulation-du-projet_59770293.html